Emotions, Ego et Cryptos

La chute brutale du marché crypto et le désarrois manifeste exprimé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux par de très nombreux détenteurs d’actifs numériques m’a décidé à proposer aux lecteurs et lectrices de 2140.fr cet article, publié pour la première fois sur mon blog consacré aux marchés financiers le 22 juin 2016, sous le titre Emotions Ego et Investissements.

Il a été légèrement adapté sur la forme. Le fond est le même. J’espère qu’il sera utile à toutes celles et ceux qui, actuellement, découvrent ce que le mot panique veut dire !

N.B.: Cet article s’adresse a priori aux investisseurs, qui ont un horizon de placement à long terme, mais a posteriori les spéculateurs, qui ont une stratégie court terme, peuvent aussi le lire, attendu qu’ils sont soumis aux mêmes biais cognitifs dont il est question plus bas…

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Il n’y a aucune formule magique, aucune méthode garantie, bref aucune recette miracle pour gagner facilement sur le marché actions, ni sur le marché des crypto-actifs, qui obéit aux mêmes lois.

Ce qui prétendent le contraire sont des charlatans et/ou des arnaqueurs qui, pour certains, ont fini leur vie en prison. N’est-ce pas Bernard Madoff ?

Même les plus emblématiques investisseurs (Soros, Buffet, El-Erian, Gross, Dalio, Taleb, Burry etc.) – que tous les apprentis investisseurs qui lisent ces lignes devraient connaitre – ont essuyé des pertes, parfois très lourdes, à différents moments de leur carrière.

Ce qui les différentie des autres – outre une capacité inée à sentir et ressentir les tendances de marché comme personne – c’est leur capacité à tirer les enseignements de leurs erreurs, à adapter leur stratégie et leur comportement en conséquence, et à s’y tenir.

Tout investisseur lucide doit garder présent à l’esprit le fait que quels que soient ses compétences, son niveau de connaissances, ses capacités analytiques, et ses fonds disponibles, certains de ses placements seront inévitablement perdants, et lui feront mal au moral. Très mal.

Une fois ce postulat de départ posé, l’essentiel est de parvenir à gagner plus souvent que l’on ne perd, autrement dit au moins 51% du temps.

Si l’investisseur qui veut se positionner sur le marché des crypto-actifs n’est pas capable d’assumer psychologiquement et financièrement le fait qu’il va parfois perdre de l’argent sur certains de ses placements, il est préférable qu’il renonce purement et simplement à investir. Car si le marché des crypto-actifs est un écosystème hautement volatil et stressant, le plus souvent le pire ennemi de l’investisseur reste l’investisseur lui-même !

Et en particulier son mental, qui va déterminer sa capacité à suivre une discipline d’investissements stricte, contraignante, pour ne pas dire drastique.

Croire en sa bonne étoile, en la chance, ou en sa capacité à se refaire font parti des attributs du mauvais investisseur, c’est à dire celui qui va perdre plus souvent qu’il ne va gagner, parce qu’il va prendre ses décisions en fonction de ses émotions et des résultats (bons ou mauvais) qu’il a obtenu par le passé et qui pourtant , comme chacun sait, n’auront aucune incidence sur ses résultats futurs.

Un être humain (et encore moins un investisseur), contrairement à ce que prétendait Harry Markowitz, le père de la Théorie Moderne du Portefeuillen’est pas dénué d’émotions et de sentiments et est rarement objectif dans sa prise de décision. Il est au contraire susceptible de se laisser perturber par sa subjectivité et son émotivité , ce qui se implique le plus souvent une distortion de la réalité causée par :

  • Les biais cognitifs qui consistent à baser sa stratégie et ses décisions sur ses connaissances et ses croyances personnelles.
  • Les biais émotionnels qui vont pousser l’investisseur à modifier sa stratégie en fonction de sa personnalité et des émotions générées par ses gains et pertes passés.

Ces biais psychologiques, qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre de ces deux catégories ont tendance à s’additionner, dans une sorte de cercle vicieux qui s’auto renforce. 

Par exemple prendre une mauvaise décision à partir d’un point de vue personnel (biais cognitif) peut provoquer un changement d’humeur (biais émotionnel) qui va mener à des prises de risques excessives et entrainer une nouvelle perte, que l’on tentera de rattraper coute que coute, jusqu’à la prochaine perte… etc…

L’égo (incluant le sous-ensemble orgueil) doit être impérativement retiré de l’équation et laisser place à l’objectivité froide et l’analyse rigoureuse lorsque l’on place des fonds sur le marché cryptos.

L’avidité, et l’orgueil (un des 7 péchés capitaux) sont 2 tares qui affectent également la discipline de l’investisseur. Elles se manifestent en général lorsque ce dernier est dans une phase euphorique, le plus souvent après avoir réalisé plusieurs opérations profitables successives.

Galvanisé par ses résultats positifs, l’investisseur se dit qu’il peut faire encore mieux, qu’il peut gagner encore plus, qu’il est dans une bonne série et que celle-ci ne peut que se prolonger. Rien n’est plus faux.

Ce biais cognitif est tellement trompeur qu’on lui a donné un nom : the hot hand. Il a été décrit pour la première fois en 1985 dans un papier intitulé  Hot hand in Basketball rédigé par Thomas Gilovich, Amos Tversky et Robert Vallone. L’étude montre que contrairement aux idées reçues le joueur de basket n’a pas plus de chance de réussir un panier après un panier gagnant qu’après un panier perdant (remplacez le terme panier par investissement). Les probabilités pour que cette série s’arrête sont par ailleurs de plus en plus élevées après chaque nouvelle tentative.

C’est exactement la même chose avec une série d’investissements fructueux, on pense qu’elle va durer éternellement, et en fait… non.

Et c’est là que l’égo, l’avidité et l’orgueil viennent perturber votre plan idéal qui soudain, prend l’eau… Et là c’est le drame, tout bascule !

Les pertes liées à l’avidité et à l’orgueil sont dangereuses car elles mènent au déni. En effet perdre est très mauvais pour l’égo de l’investisseur. Or lorsqu’il est en échec il cherche à rationaliser ses pertes engendrées par son comportement irrationnel. Perdre le contrôle de soi entraine un besoin de le regagner dans les plus brefs délais, même au prix de décisions illogiques, basées sur des croyances et non des faits.

Perdre de l’argent parce que l’on a manqué d’objectivité et de discipline pousse à se trouver des excuses et/ou à chercher des coupables. Le plus souvent l’investisseur confronté à ce cas de figure accusera le marché qui est manipulé ou les investisseurs qui n’y comprennent rien, ou les algorithmes de trading haute fréquence qui perturbent les marchés (quand bien même ces trois assertions peuvent être vraies), au lieu de se tenir pour principal responsable de ses pertes.

Et le plus souvent son égo voudra plus que jamais battre le marché, pour se refaire, comme on dit souvent et qui se produit très rarement.

A partir du moment où vous investissez pour combler des pertes, vous êtes sur la mauvaise pente, parce que cette stratégie, qui n’en est pas une, est basée sur la frustration qui devient votre moteur. Elle va générer du stress, de l’anxiété, des attentes irréalistes, une exposition excessive au risque, voire de la paranoïa.

C’est en général dans ces moments que les investisseurs prennent leurs pires décisions et font face aux conséquences inévitables de leur perte de lucidité: des pertes de capitaux plus ou moins importantes.

C’est précisément ce à quoi nous sommes en train d’assister depuis les plus hauts de 2021 sur le marché cryptos avec les spéculateurs hystériques qui tentent par tous les moyens de se refaire en achetant les creux. Le fameux buy the dips qui peut être fatal quand le timing est mauvais ou qui peut être très bénéfique à terme, si le timing est bon…

Émotionnellement l’investisseur ne gère pas ses pertes et ses gains de la même manière. Si de gros gains peuvent entrainer une réelle satisfaction, les pertes, surtout importantes, entrainement toujours des émotions négatives bien plus intenses et durables que les positives, et ces émotions court-circuitent le jugement.

De nombreuses études en finance comportementale ont démontré que les investisseurs sont légèrement plus prudents en cas de gains (ils savent pendre leurs bénéficies, sauf dans le cas de longues séries consécutives de gains où ils auront tendance à forcer leur chance, comme on l’a vu plus haut) qu’en cas de pertes où il est très fréquent de tomber dans le piège qui consiste à modifier sa stratégie et enfreindre les règles que l’on s’est fixé, uniquement dans l’espoir de se refaire.

L’investisseur doit avoir conscience que la direction du marché, l’actualité, et même sa vie privée peuvent avoir une influence importante sur son humeur donc sur sa stratégie d’investissement.

Par exemple, en cas de moins-value latente (le titre perd de sa valeur mais n’a pas encore été revendu) l’investisseur guidé par des croyances irrationnelles et ses émotions va vendre et réaliser sa perte, pensant alors que le titre va continuer à baisser. Puis il va racheter la valeur quelques temps après quand il va la voir remonter un peu, se disant qu’il est en train de passer à côté d’une opportunité (le fameux FOMO) et ainsi de suite jusqu’à avoir perdu une partie de son capital.

Une autre approche lorsque les résultats ne sont pas bons consiste à ignorer les faits, ne pas couper sa position pour limiter les pertes et attendre (ce qui est une forme de stratégie) en espérant que le marché remontera et que les pertes seront minimisées. Dans ce cas de figure, le pire qui puisse arriver est que le marché donne raison à l’investisseur. Celui-ci se croit dès lors très malin, ce qui est rarement le cas, et se met à baser ses investissements futurs sur ce résultat dont il tire des conclusions erronées.

Après un certain laps de temps sans avoir pris de décision l’investisseur peut finir par s’impatienter et saisir ce qu’il croit être des opportunités qui n’en sont pas.

Remarque importante : rien n’oblige un investisseur à être actif en permanence, pas plus que d’être investi à 100%, ce qui ne laisse aucune marge de manœuvre en cas de retournement de tendance.

Il est parfois préférable, surtout après des pertes, de faire une pose et d’analyser la situation avec objectivité avant de se repositionner dans de meilleures conditions sur le marché.

D’autres facteurs endogènes (propres à l’investisseur) sont encore susceptibles d’affecter une stratégie initialement basée sur l’analyse des faits :

Tout miser sur une même crypto en s’étant persuadé qu’elle va pumper to the moon (ou parce que l’on a eu un super tuyau sur ce sujet) est une des pires erreurs.

La diversification de ses placements est un pré-requis indispensable. Comme le rappelle à cet égard l’adage populaire plein de bon sens : on ne met jamais tous ses œufs dans le même panier.

Il est aussi important de ne pas confondre investissement et spéculation. L’investisseur a un horizon de placement à moyen ou long terme (de quelques mois à quelques années) alors que le spéculateur investit sur le court terme (de quelques minutes à quelques jours).

Pour résumer, l’investisseur qui décide à investir dans les cryptos doit être dans un état psychologique optimal.

Il doit être concentré, positif, reposé, calme, patient, prêt à tout moment, organisé, informé, structuré, concentré, raisonnablement confiant et modeste…

Il ne doit donc surtout pas être : émotif, énervé, contrarié, impatient, anxieux, stressé, trop confiant, paranoïaque, craintif, fatigué, déprimé…

Il existe également des facteurs exogènes (extérieurs à l’investisseur) que l’on ne peut maitriser. Parmi eux les fameux Cygnes Noirs décrits par Nassim Nicholas Taleb dans son ouvrage éponyme) à savoir des évènements totalement imprévisibles qui vont avoir un impact négatif (ou positif, mais moins souvent) sur le marché.

Exemples : Le 11 septembre, le Covid-19, la guerre en Ukraine… Contre cela hélas on ne peut rien faire, si ce n’est de prendre le risque de rentrer en DCA sur le marché, en espérant que dans quelques mois/années ce pari aura été gagnant.

Enfin il est important de se rappeler une évidence qu’on a tendance à oublier, à savoir que l’investisseur particulier n’est pas un professionnel. En ce sens il ne bénéficie pas des mêmes outils ni des mêmes informations que les institutionnels. Il n’a donc pas les mêmes chances de récolter les bénéfices de son travail.

Ce qui nous mène à la question essentielle : comment choisir la bonne stratégie ?

La encore il n’existe pas de règle d’or, mais une fois de plus le bon sens peut aider à mettre en place une stratégie gagnante.

Le choix d’une stratégie est dictée par de nombreux paramètres tous aussi importants les uns que les autres, parmi lesquels:

  • Savoir évaluer correctement sa tolérance au risque,
  • définir son horizon de placement,
  • définir le montant maximal à investir,
  • déterminer les performances souhaitées,
  • évaluer les connaissances pratiques que l’on a sur le marché visé,
  • évaluer le temps que l’on peut consacrer à ses investissements,
  • et bien connaître sa capacité (émotionnelle et financière) à encaisser des moins-value latentes, voire de vraies pertes.

Conclusion  en forme de 10 commandements de l’investisseur lucide

  1. Gardez la tête froide,
  2. soyez analytique et factuel,
  3. sachez prendre vos bénéfices régulièrement et couper vos positions à temps,
  4. faites des poses pour garder le recul nécessaire et prendre le temps d’adapter votre stratégie aux évolutions des marchés,
  5. soyez toujours informé, faites systématiquement et consciencieusement vos propres recherches,
  6. recoupez vos sources d’informations,
  7. n’investissez qu’avec de l’argent dont vous n’avez pas besoin,
  8. n’écoutez qu’avec circonspection les conseils des autres,
  9. lisez et relisez cet article régulièrement,
  10. et surtout, surtout… n’enfreignez aucune de ces règles. Jamais !

Et alors, seulement alors, vous aurez peut-être une chance…

Author: Alexis

Entrepreneur, conférencier, consultant blockchain et crypto-actifs depuis 2017, je propose des missions de conseil et de la gestion de projets de bout en bout aux entreprises qui souhaitent définir une stratégie puis implémenter des solutions blockchain.    Geek depuis 1983 année où j'ai découvert la programmation en langage TI BASIC sur un ordinateur Texas Instrument TI99/4A. Entrepreneur innovant depuis 2000 dans le web, l'impression 3D et la blockchain. Je suis le fondateur de 2140.fr

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